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Controverses

La question que l’on peut logiquement se poser est: Pourquoi les transferts graisseux au niveau du sein ont été soumis à une telle polémique ?

 

En effet, il était logique et de bon sens d’envisager le transfert des propres tissus de la patiente dans le sein dans une démarche naturelle, écologique et de sécurité en évitant l’apport de produits artificiels susceptibles d’apporter leurs propres problèmes (Cf problèmes des prothèses et sécurité des prothèses, rapport de l’ANSM). De plus, les transferts graisseux sont une technique ancienne, puisqu’utilisée depuis 1912 par Hollander selon une technique relativement proche de celle que nous utilisons aujourd’hui. Cette technique avait été plus ou moins abandonnée au cours des années probablement du fait de problèmes infectieux (les conditions opératoires n’étant pas, au début du siècle dernier, les conditions de stricte aseptie dont on dispose aujourd’hui), avec une redécouverte de son utilisation au début des années 80, à la suite des travaux d’Illouz sur la liposuccion. Les travaux de Coleman au cours des années 90 ont également confirmé la possibilité de réaliser des greffes graisseuses dans de bonnes conditions, au prix d’un protocole précis et méthodique.

 

Ces travaux confirmaient d’autres données de la littérature comme celles de Bircoll, qui avait proposé les transferts graisseux au niveau du sein avec un article publié en 1987 dans Plastic and Reconstructive Surgery Journal. Cet article avait suscité une polémique importante à cette époque ; certains reprochant la possibilité de donner des images pouvant masquer le dépistage d’un éventuel cancer du sein. A la suite de cette polémique, la Société Américaine de Chirurgie Plastique (ASPRS) avait donné pour recommandation d’éviter le transfert graisseux au niveau des seins. Cette recommandation avait été faite sans argument scientifique, uniquement sur la base de l’opinion des membres du comité. Cette recommandation avait cependant eu comme effet d’arrêter tous les travaux de recherche et d’évaluation sur ce sujet, sur lequel pesait alors un tabou considérable.

 

En 1998 nous avons développé, au sein de l’équipe de Chirurgie Plastique du Centre Léon Bérard de Lyon que nous animons, un thème de recherche pour évaluer les possibilités d’utiliser les transferts graisseux au niveau des seins, appelés lipomodelage du sein ou transfert graisseux au niveau du sein, afin de repartir sur des bases scientifiques neuves,  et ne pas porter le poids du tabou ancien. Ces travaux d’évaluation ont permis de mettre au point l’intervention en permettant des transferts graisseux de grand volume en toute sécurité, et de montrer que les transferts graisseux, s’ils étaient réalisés de façon satisfaisante, ne gênaient pas l’imagerie du sein, que ce soit en mammographie, échographie, ou IRM. Les éventuelles images apparues après transfert graisseux étant facilement reconnaissables comme des zones de cytostéatonécrose, alors que les autres zones graisseuses étaient parfaitement radio-transparentes et ne gênaient pas l’imagerie du sein.  Ces travaux ont permis progressivement de lever le tabou et d’élargir les indications de transfert graisseux au niveau de la Chirurgie Plastique et reconstructrice du sein.

 

Mais les détracteurs de cette technique (avec quelles motivations sous-jacentes ?) n’avaient pas dit leur dernier mot. A la suite de nos travaux, ne pouvant plus directement accuser le retentissement radiologique du lipomodelage et des transferts graisseux au niveau des seins, ils ont lancé une polémique sur une éventuelle oncogénécité de la graisse au niveau du sein, et certains ont lancé le débat de façon extrêmement polémique et non sur des bases scientifiques. La SOFCPRE (Société Française de Chirurgie Plastique Reconstructrice et Esthétique) en 2007 a été le témoin de ces polémiques peu courtoises, lors d’une table ronde que nous avions organisé avec le Dr Gérard Flageul  sur ce sujet,  et qui sont encore dans toutes les mémoires des membres présents ce jour à la SOFCPRE.

 

Les premières questions que l’on peut se poser : pourquoi ce sujet suscite-t-il une telle polémique et pourquoi les discussions sont-elles aussi animées sur ce sujet, avec aussi peu de discernement et raisonnement scientifiques?

 

Il existe probablement des facteurs psychologiques et subjectifs. Dans nos Sociétés Scientifiques de Chirurgie Plastique, le sein a toujours fait l’objet de beaucoup de passion dans notre corporation, et les anciens de notre Société rappellent volontiers les discussions animées sur les différentes techniques de mammoplastie, certains étant pas loin d’en venir aux mains pour affirmer la prépondérance de leurs choix techniques ! D’autre part, la graisse représente dans l’inconscient collectif un élément négatif, correspondant au raccourci mental : « je n’aime pas les gros donc je n’aime pas la graisse ». Ce raccourci mental mélange des données très différentes : la graisse saine (qui est un élément de réserve énergétique et de réserves en cellules souches) qui contribue à la bonne santé de l’individu, avec la graisse de l’obésité qui correspond à une graisse en excès, qui est une maladie caractérisée par un excès de graisse malade (graisse anormale pro-inflammatoire susceptible de favoriser différentes maladies comme le diabète, le cancer et les maladies cardio-vasculaires). Les travaux sur les cellules souches d’origine graisseuse montrent que la graisse est riche en cellules souches, et constitue probablement un des principaux systèmes de réparation de l’organisme. La graisse dans l’obésité est par contre réellement délétère et constitue dans cette situation un élément cancérigène pour le sein, probablement par effet endocrinien général, et non local. En effet les facteurs qui conduisent à l’obésité sont des cancérogènes puissants pour les seins : que ce soit l’alimentation riche en glucide et en lipide saturé ou l’absence d’activité sportive. D’autre part, la graisse périphérique de l’obèse est une graisse malade qui se comporte alors comme un organe endocrinien transformant les hormones surrénaliennes en oestrogènes (avec une action traitement hormonal substitutif-like), et entraine également un hyperinsulinisme, qui est également un facteur cancérogène puissant.

 

D’autre part, le tissu graisseux est un tissu riche en facteur de croissance et il est facile, dans le cadre de travaux expérimentaux mal conçus, de faire dire tout ce que l’on veut à ces travaux expérimentaux. En effet, si on transfère des cellules cancéreuses avec de la graisse, elles se développent plus vite, les cellules cancéreuses se servant de la graisse comme élément de croissance ; de la même façon, les cellules cancéreuses se développent de façon plus  rapide lorsqu’on rajoute en culture les éléments nutritifs nécessaires au développement cellulaire. Dans les conditions normales, le cancer du sein se développe dans la partie fibreuse du sein (dans le stroma), puis il envahit le tissu périphérique graisseux, qu’il colonise et met sous influence par des messages cellulaires actuellement en partie élucidés. Ce qui a fait dire à certains, qui n’avaient que partiellement compris la portée de ces travaux sur les modes de développement tumoral du cancer du sein (et non sur la cancérogénèse mammaire) que les transferts graisseux pouvant éventuellement potentiellement augmenter le risque de cancer du sein. Nos travaux portant sur plus de 3000 interventions réalisées personnellement (6000 au sein de l’équipe, de 1998 à 2017) ont montré exactement l’inverse, avec une diminution du risque de nouveau cancer, notamment dans les séquelles de traitement conservateur, nous permettant de nous poser la question d’un éventuel rôle protecteur de la graisse transférée. Par ailleurs, le tissu graisseux est un tissu de richesse cellulaire importante, et on peut influencer les recherches expérimentales dans le sens que l’on veut sans que cela donne une valeur particulière à une éventuelle application au retentissement clinique. Le point crucial est bien la sécurité clinique.

 

La graisse, dans le sein normal, peut par contre être considérée comme positive avec une action probablement anti-cancéreuse. En effet le sein graisseux, de même âge et de même antécédent personnel et familial, donne moins de cancer que le sein dense et fibreux. Cela se retrouve dans de nombreux travaux de radiologie qui définissent l’hyperdensité mammaire comme un facteur de risque indépendant de cancer du sein. Ces constatations sont connues depuis longtemps et il suffit de travailler en anatomo-pathologie lors de la macroscopie, l’anatomo-pathologiste recherche les cancers en zone fibreuse, et non pas en zone graisseuse. Le cancer du sein nait au sein du tissu épithélial et a besoin de stroma (tissu conjonctif) pour se développer et la macroscopie permet de constater les zones stromales, et de les étudier de façon préférentielle au microscope à la recherche d’un cancer.

 

Enfin, le sein graisseux facilite le diagnostic précoce du cancer du sein puisqu’à la mammographie les zones cancéreuses apparaissent comme opaques en contraste des zones graisseuses claires. Plus le sein est radio-clair, plus le diagnostic du cancer du sein est facile et ceci est bien connu de tous les radiologues et de tous ceux qui regardent régulièrement des mammographies.

 

D’autres arguments permettent d’envisager une action anti-cancéreuse de la graisse. En effet l’apport de cellules souches et de progéniteurs, permettrait de restaurer ou de maintenir l’homéostasie mammaire, avec sa capacité de réparation du tissu mammaire. Par ailleurs, les transferts graisseux ont un effet anti-inflammatoire (cela est constaté quotidiennement en pratique clinique, dans la pathologie inflammatoire ou dans les transferts graisseux autour des capsules prothétiques). L’inflammation participant au développement du cancer, l’effet anti-inflammatoire de la graisse pourrait avoir une participation anti-cancéreuse. Enfin, les transferts graisseux, apportant des progéniteurs angiogéniques, pourraient réguler et bloquer l’angiogénèse anormale, qui est un élément actuellement bien connu du développement des cancers (Cf travaux fondateurs de Folkman, lui aussi décrié au début de la présentation de ces travaux, et maintenant reconnu comme un pionnier ayant ouvert une nouvelle voie thérapeutique).

 

Finalement, des éléments contraires apparaissent dans la littérature fondamentale, et il faut savoir que beaucoup de travaux sont menés pour comprendre comment l’obésité augmente le risque de cancer, notamment du cancer du sein. Il s’agit ici de la grosse ambigüité entre l’obésité et la graisse. Cette ambigüité, mal comprise par certains, pourrait expliquer la discordance des travaux dans la littérature. Notamment, beaucoup de travaux ne parlent pas de provenance de la graisse, qui est utilisée lors des travaux fondamentaux à charge ; or, il s’agit la plupart du temps de graisse malade provenant d’obèse ou de personnes en surpoids venant demander  une liposuccion esthétique (moyen commode pour les chercheurs de disposer  de la graisse humaine). Or, la graisse malade est maintenant bien connue pour être un élément négatif pour la santé. Par contre la graisse saine est un élément positif, témoin de la bonne santé de l’individu.

 

En pratique, la revue de la littérature dans les traités médicaux met clairement en évidence que l’utilisation de la graisse de façon raisonnée est une technique que l’on peut utiliser dans de bonnes conditions et de façon sûre. Tous les traités internationaux de Chirurgie Plastique parus au cours de ces 10 dernières années sont sans exception en faveur d’une utilisation raisonnée des transferts graisseux au niveau de la Chirurgie Plastique du sein (Livres : Bostwick, Coleman, Spear, Nahai, Hall-Findlay, Fisher, Jones) etégalement les traités nationaux avec l’ouvrage sur la Chirurgie du cancer du sein aux Editions Masson, et également l’article dans l’encyclopédie médico-chirurgicale de Chirurgie Plastique.

 

Les rares publications hostiles, ou appelant simplement à la prudence, sont le fait d’équipes utilisant paradoxalement cette technique dans les cas les plus risqués de la cancérologie, c’est à dire les séquelles de traitement conservateur. Il y a là un paradoxe qui mérite à être élucidé. De notre point de vue, il semble plus s’agir d’un problème politique (retard scientifique pris par certaines équipes sur ce sujet, concurrence entre des équipes visant un certain leadership en chirurgie plastique du sein, rivalités entre des personnes, personnes qui ne prennent pas en compte l’immense apport de cette technique à la qualité des résultats et à la qualité de vie des patientes, besoin de se faire une notoriété sans apporter de réelle contribution scientifique) que d’un problème scientifique (au sens de vérité scientifique). Pour corroborer cette impression, nous avons vu à plusieurs reprises des patientes qui avaient bénéficié de transferts graisseux au niveau du sein par des praticiens qui nous avaient attaqués, au même moment, de façon frontale et peu courtoise lors de communications scientifiques à la SOFCPRE (Société Française de Chirurgie Plastique Reconstructrice et Esthétique) sur ce sujet.

 

Certains cherchent à se faire une notoriété, non par leur talent, leur créativité, ou la richesse de leur travail, mais seulement par des interventions en congrès : critiques, alarmistes, non scientifiques, et peu courtoises. Il s’agit, me semble-t-il, d’exemples à ne pas suivre. En effet si ces équipes pensaient réellement que la graisse pouvait avoir un effet cancérogène, il serait vraiment curieux, voire malsain de proposer cette technique dans les situations les plus risquées de coïncidence avec un cancer du sein, comme les séquelles de traitement conservateur. La communauté scientifique pourra, au fil des années, juger de l’honnêteté intellectuelle de ces personnes, qui viendront naturellement et sûrement à cette technique (la plupart y sont maintenant venus en reprenant le terme ancien de lipofolling, ou le terme d’autogreffe de tissu adipeux), car elle est sûre, si elle est bien réalisée, et elle donne des résultats inespérés avec les autres techniques.

 

Pour essayer d’avancer de façon constructive et lever définitivement cette polémique artificiellement entretenue, quels sont les éléments que l’on peut mettre en avant pour progresser sur le sujet du caractère protecteur de la graisse par rapport au cancer, ou sur une éventuelle onco-génécité:

  • Les arguments fondamentaux ne sont pas d’une grande aide. En effet, les études expérimentales si elles sont essentielles pour progresser dans l’interprétation des phénomènes cellulaires, leur interprétation est délicate car on peut facilement introduire un biais dans une étude (comme on l’a souligné, si on transfère de la graisse malade, elle n’a pas les mêmes caractéristiques que la graisse saine d’un individu) et on peut alors fausser de façon considérable la valeur scientifique du travail. D’autre part il est difficile de mettre au point un modèle qui reconstitue le transfert de tissu graisseux dans le sein. Il n’y a pas à ce jour de modèle permettant de reconstituer le transfert graisseux dans le sein. Les études de co-culture et de co-transfert ne sont pas de bons modèles. Elles peuvent apporter des informations essentielles sur l’interaction de la cellule cancéreuse avec son environnement. Il s’agit d’un sujet passionnant dont le thème est la progression tumorale (il s’agit d’un sujet très intéressant, mais différent de celui qui nous intéresse ici car il n’y a aucune situation clinique où l’on transfert des cellules graisseuses en même temps que des cellules cancéreuses). D’autre part la plupart des études fondamentales sont inspirées par la forte association entre obésité et cancer, avec notamment la sécrétion de cytokines pro-cancéreuses par l’adipocyte malade de l’obèse. Il s’agit là aussi d’un sujet très intéressant sur l’oncogénécité de l’obésité, mais qui ne correspond en rien au thème de l’oncogénécité de la graisse normale transférée localement au niveau du sein.
  • Finalement la réponse à cette question ne peut venir que d’arguments cliniques. Il y a actuellement de nombreuses études qui sont toutes rassurantes et qui n’ont pas mis en évidence d’augmentation de risque de récidive ou de nouveau cancer. Si on veut aller plus loin, il faudrait réaliser des études comparatives prospectives, qui sont très difficiles à mener car l’influence supposée est très faible, et il faudrait des études avec des effectifs très importants et un suivi prolongé à long terme, ce qui est difficilement envisageable.
  • Les études en imagerie du sein lipomodelé, natif ou conservé, n’ont pas montré de problème de surveillance particulière. Il estactuellement admis dans les radiologues experts du sein que le lipomodelage ne pose pas de problème de diagnostic différentiel avec le cancer du sein et n’entrave pas le dépistage du cancer du sein (Cf Congrès « Imagerie du sein et chirurgie plastique »). Concernant l’imagerie : oui, le lipomodelage du sein, ou transfert graisseux au niveau du sein, entraîne une modification ; non, ces modifications ne sont pas suspectes et ne posent pas de problème de diagnostic aux radiologues spécialisés dans l’imagerie du sein. Il est important cependant de garder en tête l’attitude diagnostique moderne : devant toute image suspecte du sein, on doit réaliser une micro-biopsie pour ne pas laisser passer une coïncidence entre un éventuel cancer et un lipomodelage.
  • Concernant les récidives après cancer. Compte tenu de l’importance des effectifs déjà opéré (6000 interventions dans notre équipe à Lyon de 1998 à 2017, des milliers de cas de par le monde), si l’incidence de récidive tumorale était important après lipomodelage, les études rétrospectives disponibles devraient amener les résultats dans ce sens, ce qui n’est pas le cas. Enfin, si on veut être scientifique, il faut se poser la question entre la différence de transférer un lambeau graisseux (lambeau grand dorsal sans prothèse, ou TRAM, ou DIEP), et un transfert de tissu graisseux par lipomodelage. Il s’agit dans tous les cas d’un transfert adipeux sous forme de greffe ou de lambeau vascularisé dans l’ancien lit d’une tumeur (reconstruction mammaire ou séquelle de traitement conservateur). Pour ces techniques par lambeau, on dispose actuellement de recul important et d’effectifs importants et là aussi on n’a pas montré d’augmentation du risque de récidive locale par transfert tissulaire.

 

En pratique, les arguments cliniques sont donc prépondérants pour confirmer la sécurité des transferts graisseux au niveau du sein. Il faut poursuivre les travaux radiologiques confirmant que le lipomodelage ne gêne pas la surveillance radiologique des seins, et permettre aussi la diffusion scientifique des aspects radiologiques après lipomodelage et transfert graisseux (Cf Congrès « Imagerie du sein et chirurgie plastique » que nous organisons tous les 2 ans à Lyon, pour les radiologues sénologues). Il faut poursuivre les travaux de suivi des patientes opérées, avec différentes situations cliniques, que ce soit la reconstruction mammaire après mastectomie, les séquelles de traitement conservateur ou le lipomodelage dans les seins natifs en chirurgie esthétique ou en chirurgie réparatrice du sein. Dans le cadre d’une attitude prudente, il faut poursuivre une attitude de sécurité renforcée avec un bilan pré-opératoire et un suivi strict, de façon à accumuler les données dans le cadre d’une sécurité renforcée et précautionneuse, et permettre d’offrir dans debonnes conditions de sécurité cette formidable technique à nos patientes.