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Historique

Premières tentatives

L’idée d’utiliser la graisse au niveau des seins n’est pas nouvelle. Czerny décrivait, lors d’une communication au congrès allemand de chirurgie de 1895, le premier cas clinique de reconstruction mammaire en transférant un volumineux lipome dans le sein pour combler le creux d’une tumorectomie faisant suite à l’exérèse d’un fibroadénome.  D’autres auteurs ont ensuite réalisé des reconstructions ou des augmentations mammaires par greffes composites fascio-cutanéograisseuses, greffons dermo-adipeux de fesse, ou lambeaux adipeux pédiculés. Hollender en 1912 et Willi en 1926 avaient également décrit une technique de transfert graisseux, d’ailleurs assez proche de celle que nous utilisons aujourd’hui (sans cependant avoir intégré le concept de « spaghettis » graisseux, et le concept de la « boite de spaghettis »), mais cette technique était tombée progressivement dans l’oubli, sans doute à la suite de complications infectieuses ; les conditions chirurgicales et le matériel chirurgical du début du siècle dernier étant évidemment très loin de nos conditions d’asepsie chirurgicales actuelles.

 

A la suite des travaux d’Illouz sur la liposuccion à la fin des années 70, qui ont permis un développement important de la technique de liposuccion et sa large utilisation de par le monde,  il était devenu tentant d’utiliser la graisse provenant des stéatoméries (zones graisseuses localisées) pour augmenter le volume des seins, et Illouz utilisa d’ailleurs ce procédé dans les années 80 pour le sein et d’autres localisations. Ce procédé de transfert graisseux était appelé lipofilling. De même, Fournier décrivit sa technique d’augmentation mammaire par transfert de graisse, qu’il réservait aux patientes refusant des prothèses, et qui ne souhaitaient qu’une augmentation modérée du volume de leurs seins, et il précisait qu’il n’injectait que dans l’espace rétro-glandulaire, et non dans le sein lui-même. Beaucoup de chirurgiens étaient sceptiques par rapport à cette technique car les principes des transferts graisseux modernes n’étaient pas encore bien codifiés et il y avait souvent formation de foyers de cytostéatonécrose  d’allure inquiétante pouvant perturber la surveillance du sein et le dépistage du cancer du sein ; d’autre part l’imagerie du sein n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui et toute tuméfaction mammaire était potentiellement une difficulté diagnostique ; la crainte était alors grande que les foyers de cytostéatonécrose perturbe le diagnostic d’un éventuel cancer du sein.

 

La polémique

La grande polémique sur les transferts graisseux dans les seins a été déclenchée par Bircoll en 1984 lorsqu’il présenta à Bangkok, puis à la California Society of Plastic Surgeons en 1985 le cas d’une augmentation mammaire par transfert  d’adipocytes obtenus par liposuccion.  Il s’agissait d’une patiente de 20 ans qui ayant bénéficié d’un transfert de graisse pour correction de séquelles de morsure de chien,  demanda une augmentation mammaire modérée selon la même technique. D’après lui, cette technique était à réserver aux patientes désireuses d’une augmentation mammaire modérée en raison du risque supposé de nécrose graisseuse en cas d’injection de grand volume. Il mettait en avant les avantages de cette technique dans une publication en février 1987 dans la revue américaine « Journal of Plastic and Reconstructive Surgery » : simplicité, absence de rançon cicatricielle, reprise précoce des activités, évictions des prothèses et donc de leurs complications, sans compter le bénéfice secondaire au niveau des zones de prélèvement graisseux. En avril 1987, il publia le cas d’une patiente ayant bénéficié de transfert graisseux bilatéraux après reconstruction unilatérale par TRAM. Ces deux articles déclenchèrent immédiatement de nombreuses réactions d’oppositions très virulentes. Ses détracteurs soulignaient le fait que les injections de graisse dans un sein natif pouvaient engendrer microcalcifications et kystes rendant difficile la détection d’un cancer. Bien que Bircoll répondait, fort justement, que les calcifications après transferts graisseux sont différentes de celles d’une néoplasie de par leur localisation et leur apparence radiologique (et que d’ailleurs la chirurgie de réduction mammaire est également pourvoyeuse de microcalcifications), le débat était lancé défavorablement, et en 1987, the American Society of Plastic and Reconstructive Surgeons (ASPRS) statuait et déclarait : “the committee is unanimous in deploring the use of autologous fat injection in breast augmentation, much of the injected fat will not survive, and the known physiological response to necrosis of this tissue is scarring and calcification. As a result, detection of early breast carcinoma through xerography and mammography will become difficult and the presence of desease may go undiscovered.”

 

Ces affirmations avaient été faites sans référence ni travaux scientifiques étayés, mais sur la base d’une opinion des membres du comité de l’ASPRS (aujourd’hui ASPS American Society of Plastic Surgeons, qui a maintenant modifié ces recommandations actuellement complètement désuettes). A la suite de cette recommandation, émanant de la plus grande société scientifique de chirurgie plastique de l’époque, et malgré l’absence de plus amples références, et bien qu’il était pourtant reconnu à l’époque que toute chirurgie mammaire était potentiellement pourvoyeuse de kyste huileux et /ou de modifications mammographiques, les transferts graisseux dans les seins étaient devenus source d’un puissant tabou que personne ne tentait officiellement de faire céder. Cette interdiction de la Société Américaine conduisait alors à un arrêt des recherches et expérimentations sur ce sujet pourtant d’intérêt majeur pour les patientes.

 

De façon ironique et paradoxale, et pour souligner la subjectivité des positions sur ce sujet sensible, en 1987 une étude rétrospective sur les modifications mammographiques après réduction mammaire, publiée dans la même revue, rapportait que des calcifications étaient retrouvées dans 50% des cas à 2 ans, et l’auteur insistait sur le fait qu’il était possible dans la majorité des cas, de les distinguer de celles trouvées dans un cancer. Malgré cette incidence très élevée d’images radiologiques, et le risque d’interférer possiblement, avec la détection d’un cancer du sein, aucune discussion sur l’abandon des réductions mammaires n’eut bien sûr lieu, fort heureusement d’ailleurs compte-tenu de l’efficacité et de la sécurité de cette intervention de réduction mammaire.

 

La levée progressive de la polémique

Au début des années 1990, un chirurgien américain Sydney Coleman repris le thème des transferts graisseux, et du lipofilling ets’intéressa à l’utilisation au niveau de la face, particulièrement dans le cadre de la chirurgie de rajeunissement facial. Il affina la technique de lipofilling, développa un matériel spécifique et nomma sa technique lipostructure. L’efficacité importante de ces transferts de graisse au niveau de la face, utilisés selon les principes modernes de préparation et de transfert atraumatique à la suite des travaux de Coleman, Carraway, et Guerrero-Santos, que nous utilisions dans les années 90 en chirurgie esthétique et en réparation faciale, nous a donné l’idée d’utiliser le transfert de graisse au niveau du sein, en commençant initialement dans les seins reconstruits.Les transferts graisseux au niveau de la région thoraco-mammaire sont alors devenus depuis 1998 un de nos thèmes principaux de recherche et d’évaluation. Choisir ce thème de recherche était à l’époque courageux et téméraire, car il s’attaquait à un tabou puissant et à l’avis péremptoire des ténors des Sociétés scientifiques Française et américaine.

 

Nous avons d’abord appliqué en 1998 les transferts graisseux aux reconstructions mammaires par lambeau de grand dorsal sans prothèse. En effet, au sein de l’unité de chirurgie plastique et reconstructrice, j’avais développé cette technique de reconstruction mammaire autologue par lambeau de grand dorsal sans prothèse (ou Lambeau de grand dorsal autologue LGDA). Cette technique de reconstruction mammaire autologue permettait de reconstruire un volume mammaire satisfaisant dans 70% des cas, mais dans 30% des cas, le volume était insuffisant et il fallait alors réduire le sein controlatéral, ou rajouter une prothèse d’appoint ce qui enlevait le caractère purement autologue à la reconstruction mammaire, et apportait les inconvénients des prothèses (forme et consistance moins naturelles, nécessité de changement de la prothèse, risque infectieux). J’ai alors débuté l’application des transferts graisseux au niveau des seins reconstruits par lambeau de grand dorsal, dans lesquels le risque de récidive locale était considéré comme très faible. Nous avons appelé cette technique lipomodelage du sein (lipo du grec graisse, et modelage de modeler provenant de l’italien modello, qui signifie donner une forme ou un relief à ; ce qui est exactement la définition du geste chirurgical que nous faisons dans cette opération) afin de repartir sur de nouvelles bases, et de ne pas avoir à porter tout le poids de la polémique passée sur le lipofilling.

 

Le protocole était initialement proposé à des patientes volontaires qui acceptaient de se soumettre à une surveillance stricte. Puis, constatant l’efficacité très importante de cette technique, et l’absence d’effets secondaires négatifs, nous avons élargi les indications à la majorité des patients ayant une reconstruction mammaire par lambeau de grand dorsal autologue souhaitant un résultat optimal en forme, en consistance et avec un décolleté le plus naturel possible. La technique chirurgicale a été mise au point, affinée afin de permettre le transfert de tissu graisseux en grande quantité (concept repris par les auteurs américains sous le terme de megavolume fat grafting), sans obtenir de cytostéatonécrose importante. En parallèle, des études mammographique, échographique, et IRM étaient menées, qui montraient que le retentissement sur l’imagerie mammaire n’était pas rédhibitoire, bien au contraire. Nous avons alors progressivement élargi les indications du lipomodelage aux différentes situations de reconstruction mammaire (reconstruction mammaire par TRAM, reconstruction par prothèses, reconstruction par lipomodelage exclusif), puis aux malformations du sein (seins tubéreux depuis 2000, syndrome de Poland depuis 2001), et aux séquelles de traitement conservateur depuis 2002; et enfin à la chirurgie esthétique du sein.

 

Les premières présentations à la Société Française de Chirurgie Plastique et Reconstructrice (SOFCPRE) à Paris en 2001, à Milan en 2001, et au niveau de la société mondiale (IPRAS) à Sidney en 2003 suscitèrent des commentaires très critiques, qui sont encore dans toutes les mémoires, avec beaucoup d’agressivité et d’attaques frontales peu aimables, reprenant les éléments hostiles de la polémique de 1987. Nous avons répondu point par point avec des arguments scientifiques , puis au fur à mesure des présentations à la SOFCPRE, et dans de nombreux congrès de par le monde (Cf références scientifiques), l’hostilité de la communauté diminuait de congrès en congrès. D’autres pionniers des transferts graisseux au niveau des seins suivirent le même chemin, et confirmèrent nos résultats préliminaires. On peut citer notamment : Sidney Coleman à New York, Gino Rigotti en Italie, Roger Khouri à Miami. Sidney Coleman, après avoir été un pionnier des transferts graisseux modernes au niveau de la face, appliqua la technique de lipostructure au niveau des seins, et publia un article dans le journal américain Plastic and Reconstructive Surgery Journal, en 2007 dans lequel il relatait son expérience de 17 cas.  Cet article confirmait nos travaux, en montrant l’efficacité et la sûreté de cette approche, et invitait la Société Américaine de Chirurgie Plastique à revoir sa position sur les greffes de tissus graisseux au niveau des seins.  Gino Rigotti, en Italie, dès 2002, commença à utiliser les transferts graisseux au niveau des seins, en particulier dans les séquelles de radiothérapie. Ses travaux sont maintenant connus mondialement, surtout à la suite d’un article dans le journal américain Plastic and Reconstructive Surgery Journal de 2007 dans lequel il confirmait l’efficacité des transferts graisseux dans les séquelles radiques, et il insistait sur l’efficacité de la graisse du fait de l’apport de cellules souches (Stem cellsd’origine graisseuse, qui réparent à proprement parler les lésions tissulaires liées aux rayons. Nous avions fait d’ailleurs fait les mêmes constatations et c’est pourquoi nous avions créé avec Véronique Maguer-Satta en 2006 une équipe de recherche étudiant les cellules souches mammaires et les cellules souches d’origine graisseuse (Cf chapitre « perspectives d’avenir »). Roger Khouri a eu l’idée, à la suite de la vue de nos travaux lors d’un congrès, de combiner dès 2006 les transferts graisseux à l’utilisation du Brava, dispositif d’expansion externe qu’il avait inventé à la fin des années 90, et qui trouvait la son application idéale, le Brava distendant les tissus mammaires, et le lipomodelage remplissant l’espace ainsi créé (Cf Chapitre BRAVA).

 

De nombreux travaux ont depuis confirmé l’efficacité des transferts graisseux au niveau des seins et dans différentes autres applications. Une société scientifique internationale intitulée ISPRES (International Society of Plastic Regenerative Surgery), dont nous sommes un des membres fondateurs, a été créée dans le but d’étudier les nombreuses applications possibles des transferts graisseux, et a tenu son premier meeting à Rome en Mars 2012. Les transferts graisseux sont désormais admis comme faisant partie de l’arsenal thérapeutique des reconstructions mammaires, des séquelles de traitement conservateur, des malformations des seins et des hypotrophies mammaires, et sont considérés d’une très grande efficacité par la communauté scientifique et sont probablementl’avancée majeure de ces 20 dernières années en chirurgie Plastique, reconstructrice et esthétique du sein. Nous sommes heureux d’avoir tenu bon malgré la critique et l’adversité, et d’avoir pu, par la qualité de nos travaux scientifiques et notre intuitive obstination, permettre l’application des transferts graisseux au niveau du sein ; ce qui représente un progrès majeur pour les patientes que ce soit en chirurgie plastique reconstructrice, ou en chirurgie plastique esthétique. Cette approche est maintenant reconnue par la communauté scientifique française et internationale. En France, elle a fait l’objet d’une évaluation par l’HAS (Haute Autorité Sanitaire) visant évaluer l’Autogreffe de tissu adipeux en Chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique. L’HAS a rendu son rapport en janvier 2015. Ce rapport scientifique multidisciplinaire remarquable a confirmé l’avancée majeure représentée par les transferts graisseux au niveau du sein, et a confirmé la sécurité et l’apport remarquable de cette technique. Le rapport a été transmis à l’Assurance Maladie pour mettre en place un remboursement de ces interventions par l’Assurance Maladie, dans les cas de chirurgie réparatrice. Le processus administratif et médico-administratif a été assez long, et a maintenant abouti à la mise en place de 2 codes spécifiques de la CCAM sous le terme d’« Autogreffe de tissu adipeux au niveau su sein » (QEEB317 pour les transferts de moins de 200 cc, QEEB152pour les transferts de plus de 200 cc) pour le remboursement de cette intervention. Ces codes sont en application depuis le 1eroctobre 2017. Compte-tenu de l’état des finances de l’Assurance Maladie, le remboursement n’est bien-sûr pas très élevé, mais cela permet de travailler avec des codes spécifiques, enfin adaptés à notre pratique chirurgicale, et surtout aux besoins de nos patientes, en chirurgie réparatrice.

 

Travaux scientifiques du Docteur Emmanuel Delay

Pour retrouver l’ensemble des travaux et tous les références des communications et articles scientifiques émanant de l’équipe du Dr. Emmanuel Delay sur le lipo-modelage des seins et les transferts graisseux au niveau des seins, allez sur le site principal: www.emmanueldelay.fr