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Aspects Radiologiques

Les modifications radiologiques induites par les transferts graisseux au niveau des seins ont été un des points critiqués lors des débuts de cette technique. Il s’agit d’un point très important et c’est pourquoi nous avons réalisé plusieurs études pour décrire de façon précise et objective ces modifications. En effet, certains craignaient que les modifications radiologiques post-lipomodelage puissent perturber le diagnostic d’un éventuel cancer.

 

En 1987, suite à la publication de Bircoll dans le Plastic and reconstructive Surgery journal, l’American Society of Plastic and reconstructive Surgeons (ASPRS) avait condamné le transfert de tissu adipeux dans le sein. Cette recommandation avait été faite sans argumentation scientifique, juste sur l’avis d’un comité. Pourtant, la même année et dans la même revue scientifique, une étude rétrospective sur les modifications mammographiques après réduction mammaire rapportait que des calcifications étaient retrouvées dans 50% des cas à 2 ans, et l’auteur insistait sur le fait que, dans la majorité des cas, il était possible de les distinguer de celles trouvées dans un cancer. La chirurgie des réductions mammaires n’avait alors pas suscité de débat particulier. Il est intéressant de constater ici que la critique de certains manque parfois de sens critique!

 

En fait, toute chirurgie mammaire peut entrainer des modifications radiologiques (qui méritent juste d’être connues des radiologues spécialisés en sénologie), comme la mise en place d’implants, les réductions mammaires, les reconstructions mammaires, la liposuccion des seins, et même la radiothérapie ou des biopsies mammaires. Afin d’étudier le retentissement radiologique des transferts graisseux au niveau des seins nous avons réalisé 3 études : une après lipomodelage de seins reconstruits par lambeau de grand dorsal, la deuxième après lipomodelage de séquelles de traitement conservateur, et la troisième après lipomodelage de seins natifs.

 

A la suite de ces travaux, les images radiologiques après lipomodelage sont maintenant bien connues:

  • la formation de microcalcifications est un phénomène physiopathologique encore mal expliqué. Il semble que toute chirurgie mammaire puisse entrainer leur apparition, par exemple on peut retrouver jusqu’à 50% de micro calcifications à 2 ans après une réduction mammaire. L’étude radiographique descriptive de notre expérience rapporte environ 16% de microcalcifications en postopératoire. Le caractère de ces microcalcifications après chirurgie mammaire ou après transfert graisseux est d’allure bénigne, et parfaitement reconnaissable +++ par la classification de Le Gall. Avec la technologie actuelle de radiographie numérique, d’échographie performante, voire d’IRM, les radiologues sont capables de différencier les calcifications résultant de nécrose graisseuse, de celle relatives à un cancer et ceci de manière aisée. En somme, l’apparition de microcalcifications ne semble pas être rédhibitoire à la technique de transfert graisseux pour peu que la sémiologie précise des microcalcifications secondaires à un transfert graisseux soit parfaitement maîtrisée par le radiologue.
  • L’apparition de zones de cytostéatonécrose est possible mais si l’on respecte bien la technique de transfert adipeux en transférant la graisse en multiples étages tridimensionnels, et en évitant de saturer exagérément les tissus, elle est en grande partie évitable +++. Les techniques modernes de transfert de tissu adipeux pratiquées selon la technique que nous préconisons, donnent très peu de cytostéatonécroses cliniques. L’apparition de zones de cytostéatonécrose clinique étendue est le plus souvent liée à un défaut technique du transfert par non respect du principe du réseau tridimensionnel, ou non respect du phénomène de saturation tissulaire du site receveur.  Par contre, l’examen radiologique précis met en évidence fréquemment des petites zones de cytostéatonécrose sous forme solide ou sous forme de kystes huileux +++. Dans la série que nous avons publiée dans le Plastic and reconstructive Surgery journal en 2011, nous avons constaté 25% d’images typiques de cytostéatonécrose. La série de Carvajal  retrouvait 20% d’image kystique huileux non calcifiés et 20% de kystes huileux calcifiés. Le pourcentage d’apparition de zones de cytostéatonécrose n’a par contre pas de signification en soit et correspond plus à la finesse de description du radiologue qui permet actuellement de visualiser de toutes petites lésions.
  • La présentation radiologique du kyste de cytostéatonécrose (kyste huileux ou « oil cyst ») est variable et évolutive dans le temps. Sa description prend les formes suivantes :

 

–  Initialement c’est un nodule solide à l’échographie, et invisible à la mammographie.

–  Au bout de quelques mois post-opératoires, la cytostéatonécrose prend la forme d’un kyste huileux surtout visible en échographie, dont le diagnostic est évident. Ces kystes peuvent être nombreux, le plus souvent de petite taille.

–  Par la suite, au fil des mois, la fine enveloppe kystique peut se calcifier, et s’épaissir. Les zones de cytostéatonécroses apparaissent alors sous forme de calcifications. Il peut s’agir de microcalcifications rondes, régulières, en périphérie des kystes, ou d’un aspect de macrocalcification à centre clair classé ACR 2 si le kyste était de taille infra-centimétrique au départ.

–  Comme on peut le constater, la notion d’évolutivité temporelle est très importante pour l’analyse mammographique. De plus, l’apparition d’images nouvelles, même postopératoires d’un transfert de tissu adipeux, ne peut pas toujours être imputée directement au transfert de tissu adipeux lui-même. En effet, comme tout sein normal, le sein greffé va continuer son évolution avec la possibilité d’apparition spontanée de calcification, ou d’autres images.

–  Quoi qu’il en soit, la description radiologique est parfaitement codifiée et d’allure toujours non suspecte. Ainsi, l’image de multiples foyers de cytostéatonécroses de petites tailles est finalement la seule image spécifique d’un transfert de tissu adipeux, décrite comme étant l’apparition d’images en « bulles de savon », de petites tailles, éparses, de contour fin, calcifiées. Et même si la cytostéatonécrose( comme les microcalcifications) peut apparaître après tout type de chirurgie mammaire: biopsie, traitement conservateur, réduction mammaire, reconstruction mammaire, lipoaspiration, il ne s’agit pas, comme dans le transfert de tissu adipeux, d’un amas décrit en « bulles de savon », mais d’une image isolée.

 

La masse de glande mammaire accessible à l’examen mammographique, reconnue comme étant difficile d’accès notamment pour un petit sein, est augmentée après le transfert de tissu adipeux, et ceci accroit automatiquement la probabilité de découvrir des images nouvelles en particulier au niveau de la base mammaire (région pré-pectorale) située habituellement en limite d’analyse mammographique. A ce titre, cet avantage d’une amélioration de la possibilité de découvrir une éventuelle lésion suspecte, se retrouve aussi dans la détection préopératoire pendant le bilan d’une éventuelle image inquiétante, qui pourrait alors amener le radiologue à poursuivre l’analyse jusqu’à la micro-biopsie, et la détection précoce d’un cancer du sein. En gros, la patiente est en situation de surveillance et de sécurité renforcées durant les deux années de sa prise en charge (avant et après lipomodelage) et au moindre doute, la certitude diagnostique doit être apportée par l’analyse histologique obtenue par microbiopsie ou par macrobiopsie. Il est important de souligner ici qu’il ne faut pas chercher un avis d’expert : si le doute est présent, la certitude doit être obtenue par l’histologie (micobiopsie ou macrobiopsie). C’est l’expérience du radiologue qui en limitera la nécessité. D’où l’intérêt de travailler en collaboration avec des radiologues entrainés et formés à ces aspects radiologiques (nous avons dans cet esprit organisé plusieurs congrès sur « Imagerie du sein et chirurgie plastique »).

 

La densité mammaire est la mesure de la proportion de glande mammaire par rapport au tissu graisseux dans un sein. Il est clairement établi dans la littérature scientifique que l’augmentation de la densité mammaire diminue la Sensibilité, et diminue la Spécificité du dépistage par la mammographie. Par ailleurs, une densité mammaire élevée est un réel facteur de risque notamment de cancer du sein dit de « l’intervalle ». Une méta analyse regroupant 42 études retrouve un risque relatif (RR) de 1,79 pour une densité de 5 à 24 %, de 2,11 pour une densité de 25 à 49 %, de 2,92 pour une densité de 50 à 74 % et de 4,64 pour une densité supérieure à 75 %. Les résultats de l’étude menée dans notre équipe sur la densité mammaire avant/après transfert de tissu graisseux dans le sein natif ne montrent aucune différence statistiquement significative.  Néanmoins, le transfert de tissu graisseux dans le sein natif montre parfois l’apparition mammographique de plages moins denses en postopératoire. Ces zones de basses densités ne sont pas forcements homogènes et n’ont pas d’impact sur la classification ACR internationale de la densité du sein. En revanche, le passage par exemple d’un sein de densité II à 30%, à un sein de densité II à 48%, n’est pas négligeable. C’est pourquoi nous avons tenté d’évaluer ce changement par une appréciation en 3 sous-catégories de la densité des mammographies comparées, en tenant compte de la variabilité du pourcentage de la densité au sein d’une même catégorie ACR. Ainsi, il a été observé assez souvent une baisse modérée de la densité mammaire, ce qui est un élément favorable pour la lecture mammographique.

 

Un point important de notre travail est à souligner. L’étude comparative n’a montré aucune différence de classification ACR BI-RADS II modifiée en 2003 par le « Breast Imaging Reporting and Data System » (BI-RADS) de « l’ American College of Radiology » (ACR), avant et après un transfert de tissu adipeux. Il paraît satisfaisant d’observer qu’il n’y a pas d’aggravation de difficulté de lecture des clichés observés, ce qui implicitement sous entend que tous les éléments, même nouveaux, sont lus avec clarté et sans ambigüité. Il s’agit d’un point fondamental de cette étude comparative radiologique, qui permet d’observer que la classification ACR des mammographies reste stable avant et après transfert de tissu adipeux dans le sein natif et ne pose pas de problèmes d’interprétation à un radiologue entrainé dans ce domaine.

 

En conclusion, à la suite de nos travaux, il est possible de conclure qu’il n’existe pas d’augmentation de difficulté d’interprétation des mammographies après un transfert de tissu adipeux. Il existe bien l’apparition de nouvelles images radiologiques après un transfert de tissu adipeux dans un peu moins de la moitié des cas, mais l’analyse des mammographies ne pose pas de problème diagnostic pour un radiologue sénologue expérimenté dans ce domaine. La densité mammaire reste quant à elle stable, même si on perçoit bien parfois une atténuation localisée de la densité mammaire. La prise en charge de la surveillance radiologique postopératoire ne peut donc plus être considérée comme un frein à cette technique. Avec la technologie actuelle de radiologie numérique, d’échographie performante, voire d’IRM, les radiologues sont capables de différencier les calcifications résultant de nécrose graisseuse de celles relatives à un cancer et ceci de manière aisée. L’interprétation des mammographies après l’intervention est précise et sans ambigüité, lorsque le chirurgien a respecté une procédure chirurgicale stricte. Il apparait cependant crucial, pour le radiologue spécialisé en imagerie du sein, d’avoir une connaissance spécifique des images induites par le lipomodelage. Une collaboration étroite entre radiologue sénologue et chirurgien plasticien constitue ainsi la clé de voûte de la sécurité carcinologique des interventions de lipomodelage du sein et des transferts graisseux au niveau du sein.